Rufin Dikoumba, Procureur général d’Oyem : « J’invite les juges d’instruction à se réveiller »

Jouractu : Bonjour monsieur le Procureur général près la Cour d’appel judiciaire d’Oyem. Quel était le but de votre visite à la Prison centrale du chef-lieu de la province du Woleu-Ntem le mercredi 27 octobre 2021 ?

Rufin Dikoumba, Procureur général près la Cour d’appel d’Oyem

Rufin Dikoumba : Le Procureur général près la Cour d’appel judiciaire d’Oyem a impulsé une dynamique de travail qui permet au Parquet général, en début de chaque année judiciaire, d’aller vers la prison centrale d’Oyem, pour faire le point de la détention. Il s’agit de savoir, entre autres : quel est le nombre total des détenus actuellement gardés à la prison de notre ressort, de connaître le nombre de détenus dont les procédures, tant criminelles que délictuelles sont actuellement en cours d’investigation dans les différents cabinets d’investigation, savoir combien de dossiers ont été clôturés dans l’année, combien de dossiers sont en cours d’instruction, connaître le nombre de personnes condamnées et qui séjournent à la prison d’Oyem, combien de dossiers restent-ils à traiter à l’instruction pour l’année judiciaire 2021-2022 ? Mais également, répertorier le nombre de criminels qui ont été jugés à la première session criminelle de cette année 2021 et le nombre de dossiers qui sont actuellement en état d’être jugé à la seconde session criminelle de cette année, connaître le nombre de détenus qui ont fait appel et qui ne sont pas encore jugés. Tout ce travail nous permet de contrôler la population carcérale de la maison d’arrêt d’Oyem.

Jouractu : Que peut-on retenir de cette mission en termes de résultats ?

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a dans les cabinets d’instruction, beaucoup de dossiers en attente de clôture. Beaucoup de ces dossiers ont dépassé vingt mois et les juges d’instruction n’ont pas encore indiqué au Procureur général, pourquoi ils n’arrivent pas à clôturer ces dossiers et les difficultés rencontrées dans la conduite de la procédure criminelle desdits dossiers. Les juges d’instruction ont le devoir de rendre compte au procureur, pour qu’il avise et pour qu’il sache ce qui doit être fait pour clôturer ces dossiers, et pour ne pas garder indéfiniment en détention préventive, les criminels. Le soucis étant de rendre la justice dans les délais raisonnables et prévus par la loi. Ce qui concourt à l’état de droit.

Jouractu : A quoi est due cette lenteur administrative dans certains cabinets de juges d’instruction ?

Nous avons tenu l’assemblée générale le lundi 25 octobre 2021. Au cours de cette réunion, le Procureur général, que je suis, s’est plaint de l’inaction des juges d’instruction qui n’arrivent pas à transmettre dans les délais, les fiches d’identification de chaque prévenu suivie dans des cabinets et les fiches des actes d’instruction. Parce qu’avec ces deux fiches, le Parquet général peut rendre fidèlement compte à la hiérarchie du ministère de la Justice (…). Ce que nous faisons depuis trois ans, c’est de rappeler aux juges, à chaque fois que cela est nécessaire, de transmettre ces fiches dans les délais, c’est-à-dire chaque mois. Afin de permettre au Procureur général de connaître, quelle est la réelle population des personnels mis en cause et poursuivis, dont les dossiers sont en cours de traitement dans les cabinets d’instruction. Ça se fait dans une telle lenteur que, le Procureur général a dû frapper le point sur la table pour obliger et dire aux juges de rendre compte chaque mois de l’état des dossiers actuellement en cours d’instruction dans leurs cabinets. Il n’est pas normal qu’un dossier d’instruction reste trente mois et qu’on ne voit pas l’issue de la clôture. Nous avons également appris que beaucoup de dossiers, dans les cabinets d’instruction, ne sont pas notifiés aux inculpés.

Jouractu : Pourquoi ?

Ces inculpés restent en détention préventive et ne savent pas que leurs dossiers sont clôturés. Tout simplement parce qu’ils ne sont pas notifiés à temps par le greffier d’instruction. Ce qui veut dire que les cabinets ne font pas le travail de communication, pour permettre aux personnes mises en cause et aux détenus de savoir que leurs dossiers sont clôturés. J’invite donc les juges d’instruction à se réveiller. Et, à chaque fois que l’acte est posé dans un dossier, d’en informer la personne qui est en détention.

Jouractu : Que faire alors des personnes qui sont en prison depuis plusieurs années sans être jugées ?

Il se trouve qu’avant mon arrivée en qualité de Procureur général près la Cour d’appel d’Oyem, il y a de cela deux ans, j’ai trouvé plusieurs dossiers criminels – dont les mis en cause sont détenus à la prison centrale d’Oyem, après clôture et notification des pièces au Parquet général, leurs dossiers ont été transférés à Libreville. Nous n’avons pas, malheureusement, trop de détails de ces dossiers transmis à Libreville. Et, malheureusement encore, ces personnes qui sont restées trop longtemps en détention à la prison centrale d’Oyem, n’ont jamais été appelées devant la Cour criminelle pour y être jugées. Parce que, pour beaucoup, ce sont désormais des crimes qui relèvent désormais de la Cour spéciale, et qui ne peuvent être jugés qu’à Libreville. L’année dernière, j’ai réussi à ramener dix dossiers parmi ceux-là qui ont été transmis à Libreville ce, avant la mise en place de la Cour d’appel judiciaire d’Oyem qui n’existe que depuis cinq ans. Ces deux cas ont été jugés à la dernière session criminelle. Le reste des dossiers, nous n’arrivons toujours pas à les localiser au niveau de Libreville. Ces personnes sont toujours en attente de jugement. On va s’atteler à rechercher lesdits dossiers, pour que ces personnes ne soient pas détenues sans qu’elles ne sachent par où leurs dossiers sont passés.

Jouractu : Votre mot de fin ?

Notre visite à la Prison centrale d’Oyem a également été motivée par le fait que, plusieurs dossiers frappés d’appel arrivent très tardivement, c’est-à-dire, souvent au bout de quatre ou cinq mois. Le délai indiqué par l’article 400 dit clairement que les dossiers frappés d’appel doivent être jugés dans le mois, et qu’au plus tard dans les deux mois, si le prévenu qui a fait appel n’est pas jugé, il doit être libéré conformément à l’article 400 alinéa 3 du Code de procédure pénale. Nous constatons donc que, de plus en plus, les dossiers arrivent en retard. D’où notre décision d’insérer ce point à l’ordre du jour, au cours de notre visite à la maison d’arrêt d’Oyem. Nous exhortons les juges à faire attention et à traiter en priorité des dossiers frappés d’appel, pour qu’ils arrivent auprès de la Cour d’appel pour être jugés. Afin de ne pas priver les prévenus de leurs droits.

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