Paulette Missambo : « Alternance 2023 doit aller jusqu’à la victoire ! »

Dans cette interview réalisée par nos confrères de « Jeune Afrique », la présidente de l’Union nationale (UN) à l’élection présidentielle du 26 août prochain au Gabon, pense que le coup est jouable avec ses pairs de l’opposition regroupés au sein de l’Alternance 2023. Lecture.

Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous décidé de participer aux élections présidentielle, législatives et locales plutôt que de les boycotter ?

Paulette Missambo : C’est important pour nous, d’abord parce que nous retenons les leçons du passé. Après la présidentielle de 2016 qui, selon nous, avait été remportée par notre candidat [Jean Ping], un ordre de boycott avait été donné pour les élections législatives de 2018. L’Union nationale ne l’avait pas respecté car nous n’étions pas d’accord avec cette décision, qui a ouvert un véritable boulevard au pouvoir : ce dernier s’est arrogé les deux tiers des sièges au Parlement. L’opposition est en conséquence inaudible aujourd’hui à l’Assemblée. Nous pensons donc qu’il faut participer même si, à nos yeux, les conditions nécessaires au bon déroulement des scrutins ne sont pas remplies. Bien que nous ayons sollicité le pouvoir afin de discuter de la question de la transparence électorale, nous estimons que l’exécutif a détourné l’objet de la concertation nationale pour faire une énième révision constitutionnelle – un véritable recul démocratique. Nous ne devons pourtant pas lui laisser le champ libre. Ne pas participer au débat, ce serait condamner le peuple gabonais à la résignation. Or le rôle d’un parti est de porter la parole de ce peuple. Après la révision constitutionnelle de 2018, dont les dispositions n’ont jamais été appliquées, le Parlement a finalement adopté, début avril, le retour à un scrutin à un tour pour la présidentielle, ainsi que le passage au quinquennat.

Jeune Afrique : Quels sont les enjeux de ces changements, à quelques mois du vote ?

Ces requêtes [évoquées en février dernier pendant la concertation nationale] ne relèvent pas de la demande du peuple. Les partis politiques de l’opposition demandaient des solutions pour améliorer la
transparence électorale, puisque les élections sont toujours contestées. Pour éviter, comme en 2016, qu’il y ait de la fraude et des violences à l’issue du scrutin, le peuple avait choisi le passage à une
élection à deux tours. Ce type de scrutin permet à chaque parti de faire connaître ses idées et de procéder à un élagage au premier tour, afin que des alliances se forment pour le second. Manifestement, le retour au scrutin à un tour a été choisi pour que le parti au pouvoir s’adapte à la situation de son candidat, qui n’est pas physiquement en mesure de faire campagne. Ce recul pose un problème face à la nécessité de rassembler l’opposition. Mais cela n’empêche pas que chacun exprime ses idées dans un premier temps.

Jeune Afrique : Quelle doit être la place d’Alternance 2023 dans le processus électoral et quels sont les objectifs de cette coalition, y compris après les élections présidentielle, législatives et locales ?

Nous avons créé la plateforme Alternance 2023 pour mutualiser les moyens humains et matériels de ceux qui souhaitent cheminer ensemble. Nous conviendrons ensuite de listes et d’un programme
communs pour les scrutins législatifs et locaux. Ce sera aussi certainement le cas pour la présidentielle, à partir du moment où chaque parti aura fait entendre ses choix politiques. Alternance 2023 fonctionne. Aujourd’hui, nous travaillons à mutualiser nos forces et je suis convaincue que nous parviendrons à élaborer des listes communes là où c’est nécessaire. Après tout, un parti peut aussi choisir, avec l’accord des autres, d’y aller seul. Nous devrons soutenir le candidat le mieux placé dans chaque circonscription et je pense qu’il en sera de même pour l’élection présidentielle. Nous avons mis en place une commission sur un programme commun de gouvernement, pour que nous puissions gouverner ensemble si nous gagnons ces élections. L’heure est donc à la précision de nos choix, afin de nous mettre d’accord sur le candidat capable de porter nos attentes communes. Alternance 2023 doit aller jusqu’à la victoire ! Et au Gabon, il ne ne suffit pas de remporter l’élection, il faut pouvoir gouverner.

Jeune Afrique : Qu’est-ce qui vous a incitée à vous présenter à la présidentielle et comment s’organise votre campagne ?

J’aurais pu vivre ma retraite tranquillement, mais l’état dans lequel se trouve mon pays m’interpelle. C’est ce qui m’a poussée, d’abord, à accepter de diriger l’UN et à aller vers la présidentielle. J’ai un devoir envers ce pays auquel j’ai consacré la majeure partie de ma vie : en tant que députée, membre du gouvernement, puis cheffe de parti. C’est cette connaissance du Gabon qui me pousse à partir à la conquête du peuple, pour lui faire partager mon idéal : un pays dans lequel chacun puisse vivre librement, aller dans une école décente, se rendre à l’hôpital… Nous allons aller à la rencontre des Gabonais et construire avec eux un projet
qui tienne compte de leurs priorités. Ce sera à nous de porter ces dernières, si c’est notre candidat qui est retenu par l’alliance Alternance 2023.

Jeune Afrique : Quels sont selon vous les principaux chantiers qui attendent le Gabon ?

Ali Bongo Ondimba est incapable de faire un bilan. Le Premier ministre, qui parle en son nom, fait campagne sur l’espérance d’une vie meilleure ; il devrait d’abord faire le bilan de quatorze années de règne. Nous considérons que c’est un échec dans tous les secteurs : la population gabonaise est accablée par la pauvreté et par la cherté de la vie.
Pour y remédier, nous avons besoin de transparence. La cause principale de la désintégration de notre pays est la mal-gouvernance : en matière de démocratie, de libertés publiques, d’économie, d’enseignement… Tout est à revoir. L’état des routes par exemple : les communications routières entre les provinces sont quasiment inexistantes, et les chemins de fer sont dysfonctionnels. On appelle les routes gabonaises « les routes de l’enfer » ! Jusque dans certains quartiers huppés de Libreville, il n’y
a pas l’eau courante et les habitants achètent des cuves pour faire des réserves. Ils subissent aussi des coupures d’électricité intempestives qui les contraignent à investir dans des groupes électrogènes. Tout cela découle du fait que ceux qui nous gouvernent n’ont pas été choisis librement par la population. Si c’était le cas, ils se sentiraient redevables vis-à-vis de leurs électeurs. Si nous gagnons, nous devrons concevoir un plan d’urgence qui permettra aux Gabonais de retrouver leur dignité ! Il
faut assurer un meilleur partage des revenus pour garantir un minimum vital à chacun.

Propos recueillis par Jeune Afrique

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